Brabant Strip B.D.

Au mois d'avril, profitant de ma présence au salon "Trolls et légendes" à Mons en Belgique, Tom Vermeeren et Gert Bussens, m'interrogeaient sur la sortie en néerlandais du Tome 1 du "Bois des Vierges" pour  la revue "BRABANT STRIP" BS MAGAZINE.




En voici la traduction littérale :

(Brabant Strip Magazine n° 186) :



 Béatrice Tillier entre homme et bête
 dans Le Bois des Vierges


Le premier tome de la trilogie Fée et Tendres Automates était jusqu’à maintenant le seul album disponible en néerlandais de la dessinatrice française Béatrice Tillier. L’éditeur Silvester a changé ça en publiant le tome 1 de sa trilogie Le Bois des Vierges. Après cette série, Tillier va succéder à Rosinski et Delaby pour le troisième cycle de La Complainte des Landes Perdues. Même si elle préfèrerait que cette nouvelle reste encore plus longtemps un secret.

 

“Dommage que les animaux n’aient pas de sourcils”



Béatrice Tillier : (soupire avec un sourire au visage) Oui, je le sais. Philippe (Delaby) n’a une fois de plus pas pu se taire. Et on aimerait ne pas encore trop parler de mon cycle de La Complainte parce que maintenant c’est Le Bois des Vierges qui mérite toute l’attention. La Complainte, c’est pour plus tard.

C’était votre proposition de dessiner le 3de cycle ?



Quand j’ai entendu que Jean Dufaux avait écrit un cycle autour des Sorcières, j’étais très enthousiaste. Mais j’estimais que Jérémy Petiqueux serait le successeur logique pour le troisième cycle vu qu’il était déjà coloriste du cycle de Philippe Delaby. Une fois que Jérémy a été choisi pour Barracuda, j’ai reçu la chance de dessiner le 3de cycle.



Vous avez déjà commencé à dessiner La Complainte ?

Non, je n’ai pas encore commencé à dessiner. Mais j’ai déjà commencé à collectionner et rassembler la documentation nécessaire. Pendant notre vogage en Angleterre, j’ai pris beaucoup de photos que je pourrais éventuellement utiliser dans l’ histoire. Mais d’abord je dois terminer le tome 3 du Bois des Vierges. C’est ça qui compte maintenant.



LE BOIS DES VIERGES



Cette année, la traduction en néerlandais du tome 1 du Bois des Vierges est finalement apparue, sur un scénario de Jean Dufaux. Comment vous vous êtes rencontrés ?



C’était lors d’un festival BD à Mouscron. Après les séances de dédicaces, Jean et moi commencions à bavarder un peu. Il me disait qu’il aimait mon graphisme romantique et féerique. Il me demandait si j’aimerais un jour travailler avec lui. Je me sentais honorée et j’ai tout de suite dit oui. Quinze jours à peine après notre première rencontre, je trouvais déjà un premier synopsis dans ma boîte aux lettres.

Comment décririez-vous vous-même Le Bois des Vierges ?

L’histoire baigne dans l’atmosphère de la Belle et la Bête dans la version de Jean Cocteau mais l’histoire contient aussi des éléments du Roman de Renart. Au début du premier tome, les hommes et les bêtes entreprennent un essai ultime de se réconcilier en laissant épouser Aube et Loup-de-Feu. Mais déjà pendant la nuit des noces, tout échoue. Loup-Feu est tué par Salviat, le frère d’Aube. Ce meurtre cause une guerre féroce entre l’homme et la bête. Aube s’enfuit et trouve refuge dans le Bois des Vierges, un lieu sacré que personne ne touche. Aube y est hors de danger à condition qu’elle reste vierge. Les hommes n’osent pas pénétrer le bois car il y a beaucoup de créatures extrêmement dangereuses. Je ne peux rien dire de plus. (rire)



Vous avez pu intervenir dans le scénario ?



Pas au niveau de l’intrigue. Ce n’est pas du tout nécessaire. Jean sait très bien quel genre d’histoire convient le plus à tous ses dessinateurs. Il sait très bien les préférences des hommes et des femmes avec lesquels il collabore. En développant ses scénarios, il tient compte des talents, des désirs et des intérêts du dessinateur. C’était aussi le cas pour moi. Je suis alors son histoire mais la façon dont j’interprète son histoire est ma responsabilité. Au niveau du cadrage et la mise-en-scène, je peux faire ce que je veux.



Pourriez-vous décrire les différents phases de votre travail ?



D’abord je lis tout le scénario, de préférence avant de dormir. Pendant une deuxième lecture, je prends des notes pour entrer dans l’atmosphère exacte. Puis, je commence à rassembler la documentation indispensable. J’accorde beaucoup d’importance à cette phase de mon travail. Je collectionne des photos, des dessins, des illustrations, des livres, des films et de la musique qui peuvent m’aider à entrer dans le fond de l’histoire. Souvent, je prends aussi les photos moi-même pour éviter des droits d’auteurs. Le mois passé, j’ai fait des photos des ours au zoo de Fort-Mardyck. Dans le dernier tome du Bois des Vierges, je serai obligée de dessiner beaucoup d’ours. Heureusement, il y avait Dominique, un ours très enthousiaste qui a joué un rôle comme petit dans le film L’Ours. Dominique était en pleine forme et a très bien joué comme modèle pour moi. (rire) Si j’ai toute ma documentation nécessaire, je peux me mettre au dessin. J’ai besoin d’une semaine environ pour finir toute une planche. Deux jours pour la mise-en-page et les croquis. Un à deux jours pour l’encrage et deux à trois jours pour le coloriage à la main.



Vous n’avez jamais envisagé de faire le coloriage à l’aide de l’ordi ?



Non, j’aime trop le contact avec le papier, la façon artisanale de travailler. Un ordi avec tout le logiciel nécessaire est aussi un investissement lourd. Et ça me prendrait beaucoup trop de temps à apprendre à maîtriser cette nouvelle technique. Un trait de pinceau peut créer tout à coup un effet inattendu. J’adore ça. Avec l’ordi, tout est réglé très strictement. Je n’aime pas que tout soit fixé et réglé presque comme c’est une science ou des maths.



Votre mari, dessinateur Olivier Brazao, vous aide aussi ?



Certainement, il est mon tout premier lecteur. Nous nous asseyons toujours l’un à côté de l’autre dans notre atelier avec vue sur la mer et on s’aide, on donne des critiques constructives dans la plupart des cas de toute façon (rire et clin d’oeil vers son mari qui est assis à la même table). Je montre aussi très régulièrement mes dessins à mon copain Jean-Marie Minguez. Il habite à Londres mais grâce aux techniques modernes avec le webcam et le Skype, c’est facile de communiquer. Jean-Marie Minguez travaille maintenant à l’histoire Carabosse, dont le premier tome vient de paraître cette année chez Lombard.

Pour Le Bois des Vierges, vous devez dessiner beaucoup d’animaux qui ont des traits humains. Ce n’est pas du tout évident, n’est-ce pas ?



En effet, ce n’est pas simple. Je voulais à tout prix éviter d’imiter d’autres séries avec des personnages hybrides comme De Cape et Crocs et Les Lumières de l’Amalou. La plus grande difficulté c’était montrer des émotions sur les visages des animaux… sans l’emploi des sourcils. Dans les BD humoristiques, les animaux ont tous des sourcils mais dans la BD plus réaliste, ce n’est pas possible. Alors, j’ai dû trouver une autre solution pour montrer les sentiments. Aucun animal n’a tant de blanc dans l’oeil que l’homme. Cette couleur blanche des yeux nous diffère des yeux animaliers. Voilà pourquoi, j’ai choisi de donner des yeux humains aux personnages animaliers. J’ai aussi ajouté quelques traits humains aux animaux en les faisant porter des boucles d’oreille, des chapeaux, etc. Cela m’a aussi permis de mieux montrer quel loup était en train de parler. Dessiner des animaux qui vieillissent était aussi un véritable défi pour moi. On ne voit pas facilement les rides sous tout ces poils, n’est-ce pas… (rire) La plus grande difficulté était de dessiner des animaux avec des vêtements dans un style réaliste qui reste crédible pour les lecteurs. Le lecteur doit avoir l’impression que c’est quelque chose de naturel. J’ai aussi hésité jusqu’à quel point je rendais humain les bêtes. Je me demandais si les lecteurs croiront l’image d’un loup habillé qui part à la chasse avec une queue et ses griffes. Un animal hybride sur le dos d’un animal sans traits humains… Loin d’être évident, je vous le jure. Jean Dufaux n’a pas tenu compte de tous ces détails en créant son histoire. C’était à moi de résoudre tous ces obstacles. (rire) J’ai vraiment dû apprendre à dessiner des animaux dans mon propre style. Heureusement, j’ai pu compter sur quelques amis qui s’occupent chaque jour professionnellement des animaux et qui ont une diversité énorme de photos uniques qu’ils ont mis à ma disposition.



Vous vous basez sur des personnages réels quand vous dessinez des hommes et des femmes ?



Absolument. Parfois ce sont des proches, parfois des acteurs ou des actrices. Le personnage principal d’Aube par exemple est basé sur l’actrice française Cécile de France et le tueur des loups Clam est basé sur le visage de l’acteur hollandais Rutger Hauer. Tous les deux ont un visage très expressif. Ils peuvent montrer des émotions très différentes. Ainsi, on met une âme dans les personnages et on évite de dessiner des stéréotypes.



Dans le tome 2 (qui doit encore être traduit en néerlandais) il y a beaucoup d’éléments mythologiques et fantastiques. Il nous semble que vous vous êtes amusée en dessinant toutes ces créatures bizarres.



Oh oui. J’ai aussi essayé d’intégrer des caractéristiques animalières dans tous ces monstres et bêtes. Le corps des centaures par exemple est basé sur une race spécifique de chevaux et les oreilles des faunes sont copiées d’une certaine race de chèvres. Pour les harpies, la forme de base est un rapace. On peut voir ça aux pattes.




Vous avez déjà parlé de l’atmosphère des contes comme La Belle et la Bête mais dans le tome 2, il y a encore beaucoup d’allusions à d’autres contes.



C’est vrai. A la page 28, Jean Dufaux a vraiment ouvert tous les registres. Vous y trouvez des clins d’oeil au Petit Chaperon Rouge, aux Trois Cochons et à Blanche-Neige. Formidable à dessiner ! (grand sourire)



Le tome 1 est paru initialement chez un autre éditeur: Laffont et cet album avait aussi une toute autre couverture que la nouvelle couverture chez Delcourt. C’était votre choix de changer la couverture pour la réédition ?



Delcourt a insisté. La couverture originale ne convenait pas dans leur catalogue. Delcourt a l’habitude de mettre une illustration sur la couverture de leurs BD. Alors, j’ai dû inventer un tout nouveau concept. J’ai choisi de mettre trois fois Aube sur la couverture dans une sorte de lumière contre un décor assez noir, sombre, mystérieux qui invite à être découvert.



Toutes les questions seront résolues à la fin du tome 3 ou y a-t-il des portes encore ouvertes pour une suite ?



Vous savez, les scénarios de Jean Dufaux ont toujours des ouvertures qui le rendent éventuellement possible à continuer. Mais ce ne serait en aucun cas pas une véritable suite car il y a une vraie fin dans le tome trois. S’il y a encore d’autres albums, ce seront des spin-of. Mais on n’en a pas encore vraiment discuté.



Vous êtes dessinatrice, coloriste et illustratrice. Mais jusque maintenant, vous avez toujours travaillé sur le scénario de quelqu’un d’autre. Vous n’avez pas envie d’écrire un jour votre propre histoire ?



J’admets que j’ai déjà quelques idées dans mes tiroirs. Alors on ne sait jamais? Mais maintenant je ne me sens pas encore prête à commencer comme scénariste moi-même. Ce n’est pas nécessaire non plus car j’ai pu collaborer avec des scénaristes qui écrivent des histoires pour moi qui me plaisent énormément. Mais ne dites jamais jamais ! (rire mystérieux)





Traduit par Tom Vermeeren, mercredi le 20 juillet 2011.